La fille de nulle part de Jean-Claude Brisseau

Publié le par La Bifurcation

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Comme le dit Jean-Claude Brisseau lui-même, son dernier film "la fille de nulle part" a été fait avec rien... véritablement rien! Mises à part quelques séquences d'extérieur, tout le film a été tourné dans l'appartement du réalisateur avec des comédiens (dont lui) non professionnels ainsi qu'une équipe ultra-réduite, ce qui doit faire de ce film, un des plus petits budgets du cinéma français de ces dernières années.

 

Michel, prof de maths à la retraite, vit seul dans son appartement depuis la mort de sa femme 29 ans plus tôt. Il occupe sa solitude à écrire un ouvrage sur le rôle joué par les mythes et les illusions, autant de mécanismes nécessaires pour accepter l'absurdité de la condition humaine. Dora, jeune SDF qu'il découvre inconsciente et ensanglantée sur son palier, vient perturber son univers. Qui est cette fille de nulle part? On ne saura jamais grand chose de sa vie, si ce n'est qu'elle a perdu ses parents à 17 ans dans un accident de voiture, et que depuis elle erre de logements en logements, au gré de ses rencontres qui souvent se terminent mal. Cette rencontre improbable lance le film qui va dès lors étudier, à travers cette relation naissante, l'évolution du personnage de Michel, notamment de ses angoisses et de ses questionnements. Une des forces du film de Brisseau, outre la délicatesse avec laquelle il décrit la tendresse et l'affection qui rapidement lie les deux personnages principaux, réside dans le mélange des genres. Les codes du film intimiste, du huis clos en appartement, sont régulièrement brisés par l'intervention de séquences surnaturelles, faisant intervenir fantômes et autres esprits. Dans la première partie du film, ces séquences restent limitées à des manifestations sonores que Michel le rationaliste, attribue à la possible présence de rats, alors que Dora l'instinctive, y voit plutôt une manifestation hostile de l'appartement. C'est au cours de cette première partie que les thèses développées par Michel dans son livre sont exposées au spectateur par la bouche de Dora. Face au néant de la condition humaine, seules 3 voies seraient possibles : la foi des croyants, la science qui, en l'état actuel de son développement ne peut répondre aux questions existentielles, et le vide des grands mystiques. La séquence au cours de laquelle les deux personnages visionnent un enregistrement de la visite de Michel à un ami prof de philo interné en hôpital psychiatrique, nous apprend qu'il y en a peut-être une quatrième : la folie, comme corollaire à une lucidité (et donc une perte d'illusions) extrême. Cette première partie se clôt sur le départ de Dora (qui a retrouvé provisoirement où loger), laissant Michel à nouveau seul avec ses démons qui revêtent cette fois les traits d'un petit fantôme maléfique, à la présence aussi fulgurante que terrifiante.


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La deuxième partie du film s'ouvre sur une inversion des rôles. C'est cette fois Dora qui vient secourir Michel, évanoui dans son appartement, victime des forces hostiles symbolisant son angoisse, fut-elle inconsciente, face à la solitude, au vide, voire à la mort. A partir de ce moment, la mort rôde et devient de plus en plus présente. Elle se manifeste à travers les visions des deux protagonistes. Une des visions de Dora nous montre deux femmes côte à côte, telles les deux "jumelles identiques" photographiées par Diane Arbus, cliché dont s'était servi Kubrick dans "Shining", autre film à la mort omniprésente. Dans une des visions de Michel, au caractère pictural évident, Dora est séduite par une femme brune vétue d'une cape noire, incarnation féminine de la Faucheuse. Une clé de lecture est ici offerte au spectateur. Et si Dora n'était qu'un personnage symbolique, amante de la mort, ayant pour mission de lui livrer Michel? Une sorte d'accompagnatrice, un peu à l'image de cette femme vêtue de blanc qui venait chercher un à un les personnages du dernier film de Robert Altman "The last show", pour les mener vers la sortie d'un monde qui n'était déjà plus le leur. Rien d'étonnant dès lors à ce que Michel croit voir en Dora la réincarnation de sa femme. Quelle présence plus douce peut-il en effet espérer pour quitter ce monde? Le mélange des genres restant la ligne conductrice, Brisseau ne néglige pas l'humour dans son film, ce qui nous vaut une hilarante séquence de spiritisme au cours de laquelle Michel interpelle, sur le mode rationaliste, la femme brune géante incarnant la mort. Reste le choix de Brisseau de faire mourir Michel de mort violente. Dora a-t-elle échoué dans sa mission d'accompagnatrice? Peut-être est-ce paradoxalement sa présence qui a fait que, malgré tous ses spectres et ses fantômes, Michel n'était tout simplement plus aussi prêt à quitter la scène...

 

Fred

Publié dans Cinéma

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