Another Year de Mike Leigh par Fred

Publié le par La Bifurcation

another-year-affiche.jpgLa séquence qui ouvre le dernier film de Mike Leigh est éprouvante. Le spectateur est mis face à une patiente filmée en gros plan, qui, de par son incapacité à dire sa détresse, parvient à l'exprimer de manière encore plus évidente. On ne reverra plus ce personnage, incarné par Imelda Staunton (une familière de l'univers de Mike Leigh, l'avorteuse clandestine "Vera Drake" par exemple), dans la suite du film. Celui-ci va alors se concentrer, sur un ton en apparence plus léger, sur Gerry, la psychologue qui l'écoute, et sur sa petite famille, incarnation de la petite bourgeoisie londonienne. La séquence d'ouverture n'aura-t-elle été qu'une fausse piste?

 

Au fur et à mesure de l'écoulement des saisons d'une année, d'autres personnages vont entrer dans la boucle narrative et graviter autour du premier cercle que forme Gerry, Tom, son mari géologue, et Joe, leur fils célibataire mais en voie de guérison. Il y a Ken, l'ami de longue date, dont la capacité à ingurgiter nourriture et boissons de toutes sortes, n'a d'égal que le gouffre au fond duquel il s'effondre de manière récurrente. Dans la dernière partie du film (l'hiver) apparait Ronnie, le frère de Tom, qui vient de perdre sa femme. Ronnie, c'est la classe ouvrière, celle qui endure, qui survit et qui se tait. Et puis il y a Mary, collègue de Gerry mais de classe sociale inférieure, la cinquantaine, célibataire et un peu poivrotte. Mary est une projection de ce que pourrait devenir Poppy, l'héroïne de "Be Happy", le précédent film de Mike Leigh, quelques 20 ans plus tard, lorsque son optimisme à toute épreuve et sa capacité d'émerveillement auront commencé à se fissurer par confrontation persistente au réel. L'amorçage de ces fissures était déjà perceptible dans "Be Happy", dans "Another Year", elles se propagent. Mary est le seul personnage hors premier cercle, qui apparait à chaque saison, tantôt invitée, tantôt s'imposant. Le parti pris scénaristique consistant à concentrer la narration sur la famille de Gerry, Mary se contentant de traverser son univers, confère la distance nécessaire à la description et à la compréhension de ce personnage central. Mary va jouer le rôle de révélateur de ce que représente réellement la bienveillance apparente de Tom et Gerry envers tous ces êtres abimés qui gravitent autour d'eux. Il s'agit évidemment de condescendance, fut-elle inconsciente, caractéristique de cette bourgeoisie bohême, protégée de la rudesse de la vie, ne serait-ce que par l'abri de jardin de l'affiche du film.


another year 2

On sent bien que Mike Leigh n'aime pas ce couple parfait que représente Tom et Gerry, il en a fait des personnages fades, lisses, alors que les autres sont tranchés, marqués, excessifs sans doute, mais ancrés dans un réel avec lequel ils se débattent. Dès que Mary ne jouera plus le rôle de la copine rigolotte, dont les déboires sentimentaux et matériel rassurent, puisqu'ils confortent l'idée de sa propre réussite, elle ne sera plus la bienvenue dans le premier cercle. Lorsque Mary lâche prise face aux difficultés de sa propre vie, elle sera exclue, même si, pour une dernière fois, elle est encore autorisée à siéger autour de la table familiale. La dernière séquence du film, très belle, nous offre un long gros plan sur le visage de Mary, seule face au vide de sa propre existence, alors que le son des discussions autour de la table s'estompe... Dès lors, l'écoute dont aurait besoin Mary ne saurait être qu'institutionnelle,  inefficace, à l'image de la séquence d'ouverture du film.

 

Fred

Publié dans Cinéma

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article