A propos de la grève en Guadeloupe par Jean-Philippe
Habitant la Guadeloupe depuis 4 ans, affecté en tant que fonctionnaire (enseignant du secondaire), je me trouve au cœur des manifestations sociales qui ont commencé sur l’île il y a 4 semaines déjà et qui, au jour d’aujourd’hui, 11 février 2008, n’ont toujours pas trouvé de solution acceptable pour le collectif meneur de ce mouvement. Le collectif Lyannaj Kont Profitation (LKP) réclame, entre autres 146 points de revendications, la hausse du pouvoir d’achat, passant notamment par la baisse du prix de l’essence à la pompe et du coût des produits dits de première nécessité jugés excessifs par rapport au coût métropole, même si, bien sûr, ce coût intègre le prix du transport maritime ou aérien. Une des dernières revendications, celle qui pose le plus problème, est la hausse de tous les bas salaires de 200 € mensuels.
Cette crise m’amène à m’interroger sur les conditions particulières de fonctionnement que nous fait vivre cette crise et sur les effets à plus ou moins long terme qu’elle pourrait avoir, le retentissement dans notre pays et à l’étranger qu’elle pourrait connaitre. Sachant que je ne suis ni spécialiste des Antilles, ni économiste, mais simple observateur en local, ce qui suit pourra je l’espère, éclairer les métropolitains par rapport à ce qu’ils entendent dans les médias « officiels ».
Tout d’abord, cette crise a un retentissement personnel : apprendre à vivre avec un approvisionnement chaotique en essence et denrées alimentaires a quelque chose d’inédit, rapprochant les hommes de leurs besoins de base si souvent oubliés. C’est une banalité que de dire cela. Ce qui, je pense, l’est moins, c’est que ces conditions un peu précaires ne favorisent pas forcément la solidarité entre les gens. Par certains aspects, oui, on adopte plus facilement le covoiturage (bien qu’il soit plus difficile d’accepter le covoiturage sur le long terme que lors d’une grève de la RATP d’une journée), on va se refiler des tuyaux pour s’approvisionner et se donner des infos sur la situation, les barrages, etc… Cependant, parallèlement, les dissensions apparaissent encore plus au grand jour, entre fonctionnaires touchant une prime de cherté de la vie et chômeurs ou bas salaires qui eux, ne sont pas du tout revalorisés aux Antilles. Autre point négatif, les réservoirs percés pour récupérer l’essence des autres, ce qui fait penser à un fameux film des années 80 où le pétrole avait quasiment disparu et la bataille pour le carburant faisait rage. On n’en est pas là aujourd’hui, heureusement, mais la pénurie d’essence à l’échelle d’une île est une belle expérience à petite taille ; qu’en serait-il si jamais cela arrivait au plan national ?
Sur le plan personnel encore, nous rencontrons quelques situations exceptionnelles : routes bloquées par des palettes, des poubelles, des panneaux publicitaires renversés ou des carcasses de voiture incendiées, ceci dans les quartiers que nous fréquentons habituellement et à côté de notre lieu de travail. Sans être le chaos, cette altération de la ville policée, cette « a-normalité » a quelque chose d’inquiétant, ou pour le moins stressant. Ayant trouvé un matin mon lycée fermé dans un quartier qui visiblement avait subi des émeutes dans la nuit, j’ai eu immédiatement en tête les images « banales » montrées dans les médias de situations difficiles : celle qui m’est venue ce jour-là, est la flambée de violence que la France a connu lors des divers « événements » dans les banlieues, à la gare du Nord, etc… Sans être comparable, je me suis interrogé sur le vécu de gens, dont certains professeurs comme moi, avec des vies banales, qui se retrouvent brutalement dans des situations de chaos. Comment réagir sainement à ce genre d’événement et comment s’en remettre. A mon niveau, je constate que nous connaissons déjà un certain stress quotidien dû à ces événements et notamment les enfants qui sont très perturbés lorsqu’ils voient par exemple une poubelle renversée qui bloque une rue. J’en conclus que notre société, qui nous berce de multimédia et de voyages lointains, nous déconnecte d’une réalité et, fragile comme elle est, nous donne peu de ressort pour affronter un bug dans la routine. Le sentiment au sein de notre famille est de vouloir devenir autonome dans le futur en cas de crise, que ce soit en Guadeloupe ou en France, autonomie alimentaire (potager, animaux) et énergétique (panneaux photovoltaïques) notamment. Ce qui, bien sûr, est loin d’être à la portée de tout le monde dans cette France où le prix du m² a fortement augmenté et une majorité de gens vit en appartement. Sans doute une autre façon de vivre et de consommer est-elle possible.
Second point sur lequel je m’interroge, c’est la stabilité de nos institutions et de notre mode de fonctionnement. Notre société est basée sur un « toujours plus vite » qui n’admet pas de grain de sable dans ses rouages parfaitement huilés. Ainsi, toute manifestation est actuellement niée par notre gouvernement qui entend poursuivre ses réformes malgré tout. Or, le grain de sable, qui arrive de Guadeloupe et s’étend déjà en Martinique et en métropole puisque Monsieur Besancenot, Madame Royal notamment, ont déjà émis des avis sur la façon du gouvernement à traiter cette crise, ce grain de sable ne va pas sans poser de nombreux problèmes au niveau local et il est évident qu’une grève de 4 semaines a des conséquences graves pour les personnes qui la vivent.
Tout d’abord, l’éducation est au point mort depuis 4 semaines, les écoles, collèges et lycées étant quasiment fermés en continu. Avec pour conséquences évidentes, comment préparer le bac, les examens de BTS, les concours des grandes écoles. Si pour le bac, on peut imaginer un rattrapage local, les BTS et concours sont nationaux. Ainsi, encore une fois, les gens se débrouillent, les professeurs organisent des cours par mail, blogs, etc… solution de secours bien sûr qui ne peut se substituer à des cours « live ». Certains parents font appel à des amis pour des cours de soutien, d’autres à des boîtes privées. Là encore, tout le monde ne bénéficiera pas des mêmes chances à l’arrivée…
Ensuite, c’est toute l’économie qui est stoppée, faute de carburant, d’approvisionnement, et aussi car les grévistes font systématiquement fermer les enseignes qui ouvrent pour quelques heures. Si l’économie locale risque de s’en ressentir fortement, avec des conséquences sur les investissements, le tourisme, encore imprévisibles, ce qui est sûr c’est que les travailleurs risquent de payer les pots cassés, avec déjà 180 dossiers de licenciement déposés par les entreprises depuis le début de la grève.
Troisième point, les entreprises justement, qui ont pratiqué ce que le LKP dénonce justement à savoir, la « profitation », appliquant des marges exorbitantes sur le transport des denrées depuis la métropole à destination des Antilles. Et même sur les îles : un seul exemple, le prix de la banane est le même en Guadeloupe, à 1 km des bananiers, qu’en métropole. Le prix des denrées de base (produits lactés par exemple) est par contre quasiment doublé, ce qui explique les primes accordées au fonctionnaires de l’Etat mais laisse perplexe quant au calcul des bas salaires, identiques à celui de la métropole. Concernant l’essence, importée du Venezuela à un prix inférieur à la métropole, elle se retrouve plus chère qu’en France ; la société qui importe le carburant, la SARA, se retrouve d’ailleurs dans le collimateur du gouvernement pour expliquer ses prix. C’est un bon aspect de cette grève. Si l’Etat refuse d’augmenter les bas salaires, il se retourne justement vers le patronat qui, bien sûr, ne l’entend pas de cette oreille. Le point de blocage pourrait encore durer.
Enfin, ces manifestations laissent entrevoir un malaise dû à l’histoire, les DOM étant des départements à part, notamment du fait de leur culture métissée, et de par leur passé colonial, encore très présent. Ainsi, ce mouvement prend des tournures anti-Etat, avec une couleur parfois anti-Français (ce qui veut dire anti-blancs), provoquant un malaise général pas bien défini. En effet, les blancs ici sont pour beaucoup des fonctionnaires (professeurs, gendarmes, personnels hospitaliers) ou des cadres d’entreprise, les noirs et indiens étant souvent relayés à des emplois subalternes. Ce qui est une réalité quotidienne et qui n’apparait pas généralement (le métissage, contrairement à ce que l’on m’avait dit avant que je vienne ici, se passe bien et les gens de différentes origines se mélangent) est aujourd’hui révélé par ces manifestations. Tous les habitants de l’île pourraient être touchés si jamais un racisme réapparaissait.
Institutionnellement, les DOM ont un statut particulier et à cette crise économique et sociale s’ajoute une crise politique, avec en ligne de mire le Président de région, Victorin Lurel, que d’aucuns voudraient bien déboulonner. La Guadeloupe étant à la fois région et département, les nombreuses institutions se marchent un peu sur les pieds, se renvoient la balle et il apparait que la simplification du découpage territorial prôné par le Président de la République serait sans doute positif en Guadeloupe. En attendant, l’Etat, par l’intermédiaire d’Yves Jégo, s’est empêtré dans ces négociations avant de renvoyer le LKP face aux représentants patronaux.
Face à cette situation, le statut même de la Guadeloupe pourrait être revu par l’Etat, celle-ci étant probablement une épine dans le pied du gouvernement. Je rappelle pour finir que l’île a voté pour obtenir le statut de TOM en 2004 et que, à 75%, le peuple guadeloupéen a voté non. D’aucuns prétendent que l’opinion aurait été à l’époque manipulée et qu’un nouveau référendum donnerait un résultat différent. A voir ...
Des personnes bloquent l'entrée du casino de Gosier en Guadeloupe le 22 janvier 2009
au troisième jour de la grève générale (source : Libération du 29/01/2009)
au troisième jour de la grève générale (source : Libération du 29/01/2009)
Cette crise m’amène à m’interroger sur les conditions particulières de fonctionnement que nous fait vivre cette crise et sur les effets à plus ou moins long terme qu’elle pourrait avoir, le retentissement dans notre pays et à l’étranger qu’elle pourrait connaitre. Sachant que je ne suis ni spécialiste des Antilles, ni économiste, mais simple observateur en local, ce qui suit pourra je l’espère, éclairer les métropolitains par rapport à ce qu’ils entendent dans les médias « officiels ».
Tout d’abord, cette crise a un retentissement personnel : apprendre à vivre avec un approvisionnement chaotique en essence et denrées alimentaires a quelque chose d’inédit, rapprochant les hommes de leurs besoins de base si souvent oubliés. C’est une banalité que de dire cela. Ce qui, je pense, l’est moins, c’est que ces conditions un peu précaires ne favorisent pas forcément la solidarité entre les gens. Par certains aspects, oui, on adopte plus facilement le covoiturage (bien qu’il soit plus difficile d’accepter le covoiturage sur le long terme que lors d’une grève de la RATP d’une journée), on va se refiler des tuyaux pour s’approvisionner et se donner des infos sur la situation, les barrages, etc… Cependant, parallèlement, les dissensions apparaissent encore plus au grand jour, entre fonctionnaires touchant une prime de cherté de la vie et chômeurs ou bas salaires qui eux, ne sont pas du tout revalorisés aux Antilles. Autre point négatif, les réservoirs percés pour récupérer l’essence des autres, ce qui fait penser à un fameux film des années 80 où le pétrole avait quasiment disparu et la bataille pour le carburant faisait rage. On n’en est pas là aujourd’hui, heureusement, mais la pénurie d’essence à l’échelle d’une île est une belle expérience à petite taille ; qu’en serait-il si jamais cela arrivait au plan national ?
Sur le plan personnel encore, nous rencontrons quelques situations exceptionnelles : routes bloquées par des palettes, des poubelles, des panneaux publicitaires renversés ou des carcasses de voiture incendiées, ceci dans les quartiers que nous fréquentons habituellement et à côté de notre lieu de travail. Sans être le chaos, cette altération de la ville policée, cette « a-normalité » a quelque chose d’inquiétant, ou pour le moins stressant. Ayant trouvé un matin mon lycée fermé dans un quartier qui visiblement avait subi des émeutes dans la nuit, j’ai eu immédiatement en tête les images « banales » montrées dans les médias de situations difficiles : celle qui m’est venue ce jour-là, est la flambée de violence que la France a connu lors des divers « événements » dans les banlieues, à la gare du Nord, etc… Sans être comparable, je me suis interrogé sur le vécu de gens, dont certains professeurs comme moi, avec des vies banales, qui se retrouvent brutalement dans des situations de chaos. Comment réagir sainement à ce genre d’événement et comment s’en remettre. A mon niveau, je constate que nous connaissons déjà un certain stress quotidien dû à ces événements et notamment les enfants qui sont très perturbés lorsqu’ils voient par exemple une poubelle renversée qui bloque une rue. J’en conclus que notre société, qui nous berce de multimédia et de voyages lointains, nous déconnecte d’une réalité et, fragile comme elle est, nous donne peu de ressort pour affronter un bug dans la routine. Le sentiment au sein de notre famille est de vouloir devenir autonome dans le futur en cas de crise, que ce soit en Guadeloupe ou en France, autonomie alimentaire (potager, animaux) et énergétique (panneaux photovoltaïques) notamment. Ce qui, bien sûr, est loin d’être à la portée de tout le monde dans cette France où le prix du m² a fortement augmenté et une majorité de gens vit en appartement. Sans doute une autre façon de vivre et de consommer est-elle possible.
Second point sur lequel je m’interroge, c’est la stabilité de nos institutions et de notre mode de fonctionnement. Notre société est basée sur un « toujours plus vite » qui n’admet pas de grain de sable dans ses rouages parfaitement huilés. Ainsi, toute manifestation est actuellement niée par notre gouvernement qui entend poursuivre ses réformes malgré tout. Or, le grain de sable, qui arrive de Guadeloupe et s’étend déjà en Martinique et en métropole puisque Monsieur Besancenot, Madame Royal notamment, ont déjà émis des avis sur la façon du gouvernement à traiter cette crise, ce grain de sable ne va pas sans poser de nombreux problèmes au niveau local et il est évident qu’une grève de 4 semaines a des conséquences graves pour les personnes qui la vivent.
Tout d’abord, l’éducation est au point mort depuis 4 semaines, les écoles, collèges et lycées étant quasiment fermés en continu. Avec pour conséquences évidentes, comment préparer le bac, les examens de BTS, les concours des grandes écoles. Si pour le bac, on peut imaginer un rattrapage local, les BTS et concours sont nationaux. Ainsi, encore une fois, les gens se débrouillent, les professeurs organisent des cours par mail, blogs, etc… solution de secours bien sûr qui ne peut se substituer à des cours « live ». Certains parents font appel à des amis pour des cours de soutien, d’autres à des boîtes privées. Là encore, tout le monde ne bénéficiera pas des mêmes chances à l’arrivée…
Ensuite, c’est toute l’économie qui est stoppée, faute de carburant, d’approvisionnement, et aussi car les grévistes font systématiquement fermer les enseignes qui ouvrent pour quelques heures. Si l’économie locale risque de s’en ressentir fortement, avec des conséquences sur les investissements, le tourisme, encore imprévisibles, ce qui est sûr c’est que les travailleurs risquent de payer les pots cassés, avec déjà 180 dossiers de licenciement déposés par les entreprises depuis le début de la grève.
Troisième point, les entreprises justement, qui ont pratiqué ce que le LKP dénonce justement à savoir, la « profitation », appliquant des marges exorbitantes sur le transport des denrées depuis la métropole à destination des Antilles. Et même sur les îles : un seul exemple, le prix de la banane est le même en Guadeloupe, à 1 km des bananiers, qu’en métropole. Le prix des denrées de base (produits lactés par exemple) est par contre quasiment doublé, ce qui explique les primes accordées au fonctionnaires de l’Etat mais laisse perplexe quant au calcul des bas salaires, identiques à celui de la métropole. Concernant l’essence, importée du Venezuela à un prix inférieur à la métropole, elle se retrouve plus chère qu’en France ; la société qui importe le carburant, la SARA, se retrouve d’ailleurs dans le collimateur du gouvernement pour expliquer ses prix. C’est un bon aspect de cette grève. Si l’Etat refuse d’augmenter les bas salaires, il se retourne justement vers le patronat qui, bien sûr, ne l’entend pas de cette oreille. Le point de blocage pourrait encore durer.
Enfin, ces manifestations laissent entrevoir un malaise dû à l’histoire, les DOM étant des départements à part, notamment du fait de leur culture métissée, et de par leur passé colonial, encore très présent. Ainsi, ce mouvement prend des tournures anti-Etat, avec une couleur parfois anti-Français (ce qui veut dire anti-blancs), provoquant un malaise général pas bien défini. En effet, les blancs ici sont pour beaucoup des fonctionnaires (professeurs, gendarmes, personnels hospitaliers) ou des cadres d’entreprise, les noirs et indiens étant souvent relayés à des emplois subalternes. Ce qui est une réalité quotidienne et qui n’apparait pas généralement (le métissage, contrairement à ce que l’on m’avait dit avant que je vienne ici, se passe bien et les gens de différentes origines se mélangent) est aujourd’hui révélé par ces manifestations. Tous les habitants de l’île pourraient être touchés si jamais un racisme réapparaissait.
Institutionnellement, les DOM ont un statut particulier et à cette crise économique et sociale s’ajoute une crise politique, avec en ligne de mire le Président de région, Victorin Lurel, que d’aucuns voudraient bien déboulonner. La Guadeloupe étant à la fois région et département, les nombreuses institutions se marchent un peu sur les pieds, se renvoient la balle et il apparait que la simplification du découpage territorial prôné par le Président de la République serait sans doute positif en Guadeloupe. En attendant, l’Etat, par l’intermédiaire d’Yves Jégo, s’est empêtré dans ces négociations avant de renvoyer le LKP face aux représentants patronaux.
Face à cette situation, le statut même de la Guadeloupe pourrait être revu par l’Etat, celle-ci étant probablement une épine dans le pied du gouvernement. Je rappelle pour finir que l’île a voté pour obtenir le statut de TOM en 2004 et que, à 75%, le peuple guadeloupéen a voté non. D’aucuns prétendent que l’opinion aurait été à l’époque manipulée et qu’un nouveau référendum donnerait un résultat différent. A voir ...
de la Guadeloupe, par Jean-Philippe